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LE DISCOURS DU SUD

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Noires voix.

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Noirs chants.

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Ils nous ont pris nos pianos pour en tirer une musique

noire, une musique si l'on peut dire…

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Ils nous enchantent, nous enchaînent

par cette mélopée noire.

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Il n'est pas un de nos airs qu'ils ne nous prennent, qu'ils ne nous

déforment, qu'ils ne nous obligent peu à peu à chanter comme eux.

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Une démarche noire.

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Noirs ils longent nos murs.

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Noirs ils regardent nos vitrines.

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Noirs ils traînent parmi nos rues.

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Noirs ils dorment sur nos trottoirs.

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Leurs bras noirs, leurs fronts noirs couverts de poussière…

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Noirs ils s'assemblent.

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Noirs ils murmurent.

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Noirs ils se mettent à rire.

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Ces Noirs, je vous dis que c'est de nous qu'ils rient!

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Noirs ils déshabillent toutes nos filles d'un regard nostalgique.

White tenants seeking to prevent blacks

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Noirs ils ont un ricanement qui découvre leurs dents.

from moving into the housing project, Detroit, 1942.

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Le rire de leurs enfants noirs.

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Une attirance noire.

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Une hantise noire.

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Vous dites que nous les haïssons, mais regardez-les! Ne voyez-vous

pas qu’ils nous envahissent et qu’ils ne nous pardonneront point?

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Tel un arroi de nuages noirs.

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Vous nous reprochez de les haïr, mais notre haine n'est rien à coté de celle qui monte

dans le soir de leurs yeux noirs.

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Et si nous nous acharnons tant à maintenir des barrières, c'est parce que nous ne sen-

tons que trop la puissance qui croît dans leurs ténèbres.

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Car ces Noirs,vous savez, ce n'est pas vrai qu'ils préfèrent nos femmes

blanches, en vérité ce sont nos femmes qui…

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Et ces Noirs, ils sentent très bien qu'elle complicité dans le ventre de

nos femmes blanches éveillent  à la tombée du soir la braise de leur

haleine et leurs yeux de boue…

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Et s'ils marchent ainsi, ces Noirs, s'ils rient, s'ils murmurent ainsi,

c'est pour bien leur faire sentir cette domination sournoise dans

laquelle nous ne savons que trop bien qu'ils les tiennent…

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Nous ne sommes pas de ceux qui les croient faibles ces Noirs, nous

ne sommes pas de ceux qui croient qu'ils vont disparaître , se mêler

comme un petit fleuve dans l'océan de la blancheur…

Ku Klux Klan in Atlanta, Georgia, 1948

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Aussi, quand ils font trop les fiers, ces Noirs, quand ils nous font

par trop sentir cette puissance à venir dont nous avons si peur, un

peu de leur propre colère explose en nous, et c'est une émeute, un

meurtre parfois, comme l'éclaboussement d'une tache noire sur

notre Sud…

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Bien sûr que ces éclats sont des erreurs, puisque finalement ce sont

eux, ces Noirs, qui en tirent tout le profit, puisque l'opinion mondiale

s'alarme, puisque le Nord même recommence à nous regarder comme

des chiens, mais c'est leur propre contagion qui nous possède alors

comme un esprit démoniaque dans lequel ils s'amusent à nous faire

respirer…

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Mais au moins, pendant quelque temps, ils se tiennent plus à l'ombre, ils savent que

leur heure n'est pas encore venue, ils ne plastronnent plus de la même façon, pen-

dant peu de temps, très peu de temps; ils se nourrissent de cette ombre...

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Alors, ils prennent des regards de martyrs, et nos femmes, celles de

nos femmes qui étaient les plus acharnées, qui hurlaient le plus fort,

tremblent plus encore d'approcher de leurs quartiers noirs, et l'ont voit

peu à peu un nouveau sourire très secret relever le coin de leurs lèvres

noires, car ils n'ont même plus besoin de les regarder, leurs dos, leurs

mains sécrètent ce venin, ce trouble…

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Ainsi, malgré ces coups de barre, nous perdons tous les jours du ter-

African-American men lynched

rain devant cette manace immense, et si nous nous couvrons ainsi

in Lee County, Georgia,

d'oppobre, cela oblige du moins nos gouvernements à raffermir les

on January 20, 1916

lois de ségrégation qui nous protègent…

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Il y a de nouveaux lynchages dans le Sud! J'ai fui…

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Les gens du Nord qui nous déclarent : il faut être gentil avec les

Noirs; et ils leur envoient des missions, des secours; et ils proclament

ensuite : voyez comme ils sont bien disposés, ils ne demanderaient

qu'un peu de bonne volonté. Ils ne soupçonnent point cette insondable

ruse…

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Des lynchages? Vous avez fui? Comment cela est-il

possible? Nous qui pensions que cela n'existait plus,

que c'était enfin terminé, un mauvais rêve, un de ces

mauvais rêves; nous qui n'y pensions plus!...

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Ils ne soupçonnent point ce désir de vengeance...

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Mon Dieu! En notre Temps! En notre pays! Il faut

absolument faire quelque chose! Nous constatons votre

innocence, votre bonne volonté, votre martyre…

---N'est-ce pas que nous sommes blancs; n'est-ce pas

que ce sont les Blancs qui sont noirs dans le Sud…

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Ils s'imaginent qu'il suffirait de leur accorder généreusement l'égalité, et qu'alors tout

s'arrangerait, mais ce qu'ils ne comprennent pas c'est que les Noirs ne veulent abso-

lument pas de cette égalité-là…

Civil rights movement leaders

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Ils s'imaginent de l'autre côté du Mississipi, mais plus au nord, dans

l'Illinois, qu'il leur suffirait à ces Noirs que l'homme blanc, qui s'est

considéré leur supérieur pendant des siècles, du haut de la supériorité

actuelle qui lui rest,comme d'un balcon, dans son immense générosité

envers se pauvre petit frère plus sombre, condescende à dérouler jus-

qu'au fond de sa misère une sorte d'échelle de corde pour lui permettre

d'accéder à son niveau, sous-entendant ainsi qu'il n'aurait jamais pu

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y accéder tout seul, qu'il est donc véritablement inférieur et que l'on

a eu bien raison de le traiter comme on l'a traité…

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Mais ils ne veulent point de cela, ces Noirs, et nous savons, nous, qu'ils sont beau-

coup plus forts que ceux du Nord ne l'imaginent…

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Nous savons bien que la charité ne leur suffit point…

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Certes, ils acceptent de grand cœur ce que vous leur donnez, ils l'uti-

liseront à leur manière, mais il est vain d'espérer de leur part, sur-

tout de celle de leurs enfants, cette gratitude que vous escomptez…

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Ils veulent arriver un jour à vous faire sentir que la situation s'est

renversée. Ils veulent un jour eux vous admettre à cette civilisation

que vous leur envierez...

442

C'est pourquoi cette civilisation future de nos Etats-Unis dans laquelle nous serions

leurs égaux ne pourrait être qu'inventée par eux…

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Ah, gens du Nord, envers ces Noirs, il n'est vraiement plus temps d'être gentils…

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Ils attendent, ces Noirs, il n'est même pas besoin de parler entre eux,

il leur suffit de voir leur couleur, une goutte de leur couleur dans tout

le lait d'une peau blanche suffit à leur faire un allié…

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Bien sûr qu'il y a des traîtres chez eux, et cela devrait nous donner

bon espoir dites-vous; bien sûr vous les aidez ces traîtres, et nous avons

bien tort au Sud de ne point les encourager dans l'ombre dites-vous,

tout en hurlant le jour, le soir, avec les loups, mais ne vous fiez point

à ces traîtres…

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C'est qu'ils sont si profondément traîtres, ces Noirs qui font les inno-

cents, ces Noirs qui font les corrompus, les dociles ou les scandalisés

selon l'interlocuteur qu'ils séduisent; c'est qu'ils sont si sûrs de leur

puissance quand ils s'assemblent dans la tombée de la nuit sur leurs

porches qui se délabrent, si sûrs du feu de leurs regards, si sûr de

l'attrait de leur peau…

The 1963 March on Washington

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Avouez-le donc, gens du Nord, que vous aussi, dans

la tombée de la nuit, vous commencez à les trouver

beaux, qu'il y a des moments où vous êtes moins sûrs

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de la supériorité de votre peau blanche, où votre regard

ne peut s'empêcher de suivre leur démarche, de s'at-

tarder, avant que votre esprit se ressaisisse dans la

pensée des bonnes œuvres…

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Gens du Nord, c'est votre civilisation qu'ils menacent, ils ne laisseraient presque rien

subsister de votre "american way of life!"…

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Ils ne s'élèveront pas avec nous, mais contre nous, contre ce qui est

maintenant, ce qu'est l'Amérique maintenant, ce qui ne les empêchera

nullement de prendre tout ce que vous mettrez à leur disposition et,

pensez-y, gens du Nord, tout ce que vous voudriez vous réserver…

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Vous n'arrivez pas à imaginer leur règne, gens du Nord; tous les

peuples d'autre couleur, vous pensez qu'ils demeureront sous votre aile

blanche…

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Tandis que nous, dans le Sud, nous éprouvons tous

les jours cette lente force invincible; nous ne les mépri-

sons point, nous, ne les jugeons point faibles, nous, les

voyons croître, se développer, et frémissons quand nous

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pensons à ce qu'il adviendra de notre Washington, de

notre capitole, de nos monuments…

Great migration african american (1910-1970)

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Car vous vous imaginez, gens du Nord, que ce sont de bons

citoyens américains, ah! Comme ils sont rusés! Ils en ont trop vu,

croyez-nous, ils ne vous offriront pas la moindre prise…

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Ils sont au milieu de nous comme un autre sexe, leurs femmes tentent

nos femmes, leurs hommes et leurs garçons nous troublent…

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S'il était possible d'arranger tout cela par la gentillesse, ne croyez-

vous pas, gens du Nord, que nous aurions été bien capables d'essayer?

Que nous en aurions fait nos gendres de ces noirs, que nous aurions eu

bien plaisir à les entendre chanter le soir, que nous aurions fait sauter

sur nos genoux nos petits enfants d'or? Mais nous les connaissons, et

l'idée seule de ce sourire qu'ils auraient eu, de cette arrogance…

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Vous nous avez vaincus, gens du Nord, nous qui étions votre rempart, c'est entendu;

nous attendons, les Noirs nous ont appris à attendre…

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Bien avant d'avoir été vaincus par vous, nous étions déjà vaincus par

les Noirs; mais quand vous verrez se lever les Noirs, alors nous

aurons nous aussi cet instant de vengeance qu'ils nous ont appris à

attendre, et fermant les yeux nous ricaneront…

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Accompagnement musical : Ray Charles "Am I blue"