Art & Décoration

Célébrée lorsqu'on y associe le nom de Picasso, décriée quand on évoque les grands déballages pour touristes, la céramique de Vallauris reste encore méconnue. Liée à l'aventure de la Côte d'Azur depuis 1900, elle a le goût des vacances et du soleil. 
Vallauris, la céramique au soleil


L'assiette ci-dessus. Fortement influencé par Picasso, Jacques Innocenti, mort brutalement en 1958, usait des engobes colorés comme un peintre de sa palette, tout en exploitant le rouge profond de la terre brute locale. Coll. Galerie Louvre-Victoire.

l'ensemble de vases : Cérart, Cerdazur à Monaco ont popularisé ces décors fleuris au "sgraffitto", avec des dominantes turquoise sur fond noir ou blanc. Vallauris les a repris à son compte, souvent de manière anonyme. La pipe avec son fond martelé à la clef est classique de Ribero, le vase à anses torsadées est siglé JTF, celui à anses lisses est signé MT et le petit C. Lamarche. Coll Galerie Kitsch.


Eté 1946. La France renaît. L'effervescence est partout. L'art bouge. Célèbre, Picasso effarouche. Son nom est alors synonyme d'art moderne. "Il met le nez à la place des oreilles et les yeux à la place de la bouche." Pour beaucoup encore, "Faire du Picasso" c'est faire n'importe quoi ! Espagnol, attiré par la lumière et le soleil du Midi, Pablo Picasso descend cet été 1946 sur la Côte et réside à Golfe-Juan. A Vallauris, où il visite une exposition de potiers, il fait la connaissance de Suzanne Ramié et de son atelier Madoura. Il y modèle quelques pièces, qu'il retrouve cuites, l'été suivant. En 1948, il s'installe à Vallauris et aménage un vrai atelier. Il y vivra jusqu'en 1955. Picasso devient potier. Il produira environ 4000 pièces. C'est le fruit d'une collaboration fructueuse avec Madoura qui édite les céramiques du maître. Désormais, Vallauris jouit d'un renom international. Bientôt, le petit village perché devient le village des 100 potiers. Les touristes affluent.
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Vallauris n'avait pourtant pas attendu Picasso pour être profondément lié à la poterie. C'était une tradition qui remontait à la nuit des temps. On dit que ce sont les Génois qui y envoyèrent des potiers ligures venus d'Albissola, au début du XVIe siècle. La terre est bonne, réfractaire elle supporte assez bien la chaleur. Vallauris se spécialise alors dans la poterie culinaire : "pignates" - marmites locales - poêlons, cruches... sortent des fours. De Golfe-Juan, on les expédie par la mer dans toute la Provence. A la Révolution, le village compte une quarantaine de potiers. Un siècle plus tard, 500 tourneurs uvrent dans 46 ateliers. Ce sont des ateliers familiaux : Conil fils, Castelle-Carbonnel, Saltalamacchia, Foucard-Jourdan, Jean Narbon, ou des sociétés regroupant sous un nom collectif plusieurs fabricants. On y produit la terre vernissée classique, parfois décorée de jaspures (marbrures décoratives de différentes teintes) et de giclures d'engobes colorés (enduit blanc ou teinté appliqué sur la céramique pour la décorer). Le jaune "omelette" et le vert sont les couleurs classiques de cette poterie provençale.

Image 7Trois artistes font bouger les choses

Dès le milieu du XIXe siècle, alors que la Côte d'Azur devient le lieu de villégiature hivernale des étrangers fortunés, on commence à produire à Vallauris des céramiques purement décoratives. Issus d'une ancienne famille de potiers, deux frères, Delphin (1844-1907) et Clément (1850-1911) Massier, fils de Jacques Massier, et leur cousin Jérôme Massier (1850-1916) vont bouleverser les habitudes du petit village. Bénéficiant de l'arrivée du chemin de fer à Nice (et à Golfe-Juan en 1862), ils donnent à leur entreprise une dimension colossale et attirent dans leurs ateliers toutes les têtes couronnées d'Europe, hôtes privilégiés de la Riviera. Les expositions universelles auxquelles ils participent, et où ils sont primés, contribuent à leur notoriété. On vante leurs émaux turquoise, bleu paon, vert jade dont ils recouvrent urnes, balustres, amphores, aiguières,
jardinières, griffons... Toujours soucieux de nouveautés, les Massier mettent au point des émaux à reflets métalliques irisés. Ceux de Clément sont les plus réputés. Parallèlement, ils créent des céramiques plus naturalistes, des vases, des coupes en forme de fleur, des coqs, des perroquets, des cygnes. Ceux de Delphin sont particulièrement chatoyants.
Durant l'entre-deux-guerres, remplacée par le métal, la poterie culinaire décline. On parle désormais de poterie hygiénique. Plusieurs marques sont déposées à partir de 1925 : Vallaurite, Vald'Or, Val'Auror, Vallaurea... La céramique décorative renouvelle lentement son répertoire. Au début des années trente, sans doute pour imiter les poteries provençales d'Aubagne, apparaît le fameux décor à la cigale sur fond jaune d'or, puis les objets de colombins tressés : coupes, chandeliers... Pour augmenter la production et baisser le coût, on voit même apparaître les décors au Ripolin : des poteries simplement peintes, souvent agrémentées d'un décor de fleurs, mimosa ou jasmin. C'est avec ce procédé peu orthodoxe et qui faisait hurler de rage les "vrais" potiers, que Louis Girard propose, au milieu des années trente, des décors géométriques abstraits, première approche d'un renouveau artistique. Dès la fin des années trente, pendant la guerre et tout de suite après, s'installent à Vallauris des "artistes" venus de régions diverses. Ce sont pour la plupart des jeunes gens frais émoulus d'une école de beaux arts, qui, parfois, viennent apprendre à Vallauris les rudiments de la poterie et ouvrent quelques années après leur propre atelier. Ce sont Suzanne et Georges Ramié qui créent l'atelier Madoura, André Baud, Roger Capron et Robert Picault qui s'associent un temps et fondent Callis, et bien d'autres encore.

Image 8Un repère d'artistes pour sublimer la poterie Image 9

Tous, ceux qui étaient déjà là ou ceux qui s'installent, attirés par le renom subit de la cité, voient dans l'arrivée de Picasso un formidable élan de la création. D'autres artistes de grand renom s'essaient à leur tour à la céramique : Chagall, Matisse, Edouard Pignon, Anton Prinner, Victor Brauner, Amédée Ozenfant... Des liens d'amitié se tissent. Picasso, citoyen d'honneur de la cité, est de toutes les fêtes. C'est, pour reprendre l'expression d'Anne Lajoix, dont l'ouvrage relate l'excitation de cette époque, "l'âge d'or" de Vallauris.
Pourtant, tout n'est pas si idyllique dans la cité des 100 potiers. Les anciens, ceux qui travaillaient dans les ateliers traditionnels, ne sont pas si enthousiastes quant à l'uvre de ces créateurs, Picasso en tête. Beaucoup n'y voient que des intellectuels inexpérimentés. Deux clans se forment, sans contact entre eux, les locaux et les importés!

Image 10Le pour et le contre, mais toujours la création

Chez les potiers traditionnels, l'imagination la plus débridée est au pouvoir. Il faut inventer pour séduire les touristes de plus en plus nombreux et produire toujours plus pour avoir des prix compatibles avec ce flot de "congés payés". La découverte de nouveaux émaux chimiques permet d'obtenir des teintes vives, vert pomme, rouge sang, jaune citron. Vallauris se colore. On trouve alors, en vagues successives : le bicolore, un côté noir un côté de couleur vive; les étonnantes veilleuses, au corps éventré, réceptacle d'algues et de poissons censés voguer dans les fonds sous-marins. Poissons, caravelles, amphores, coquillages, moules ou même bûche accueillant une crèche, témoignent de cette nouvelle forme d'art populaire! On trouve ensuite les émaux "Vésuve", dont la surface bullée, craquelée, évoque le bouillonnement de la lave, puis les céramiques tachistes qui perdurent jusque dans les années quatre-vingt. Toute cette production de masse s'offre aux étalages et, d'une boutique à l'autre, le chaland ne fait pas vraiment la différence. Car tout le monde copie tout le monde et il suffit qu'un artisan sorte un modèle pour que le voisin fasse rapidement la même chose. Dans les années cinquante, les céramiques fleuries de Monaco (au moins trois ateliers en produisent : Cérart, Cerdazur et Azureart) connaissent un certain succès et Vallauris se met à son tour au "graffité" (déformation du terme savant "sgrafitto"). Le décor floral est gravé dans la terre, puis rehaussé de couleurs. Certains ateliers s'y illustrent, Lamarche produit d'exceptionnelles soupières, d'autres innovent, Ribero invente les fonds martelés, une clef servant à tapoter la terre.
Toutes ces uvres, produites à des milliers d'exemplaires, s'opposent à celles des potiers travaillant en séries plus limitées (quoi que Capron ou Picault aient dirigé de véritables ateliers!). Les amateurs d'aujourd'hui ne les regardent pas de la même manière : il y a ceux sensibles à la créativité de ces années-là et les autres, plus ou moins amateurs de kitsch, peut-être nostalgiques de la frénésie sans borne qui animait la Côte d'Azur et ses potiers.


Des adresses

  • Alice Ceccaldi, 33, rue Auguste-Comte, 69002 Lyon. Tél. : 78.42.59.97.
  • Galerie Alexander et Klein, 115-117, Marché Malassis, 142, rue des Rosiers, 93400 Saint-Ouen. Tél. : 1/40.11.12.05.
  • Galerie Contrastes, 46, rue Saint-Georges, 75009 Paris. Tél. : 1/40.16.93.03.
  • Galerie Kitsch, 3 rue Bonaparte, 75006 Paris. Tél. : 1/43.29.76.23.
  • Galerie Louvre-Victoire, 154, rue Saint-Honoré, 75001 Paris. Tél. : 1/40.20.07.48.
  • Galerie Martel-Greiner, Marché Dauphine, allée des Rosiers, 93400 Saint-Ouen. Tél. : 1/49.45.06.49.

Légendes des photos Retour

1. Le gris des pichets de Gilbert Valentin (Poterie des Archanges) était obtenu en mélangeant sur la pièce un émail blanc et un émail noir. Quelques touches en aplat de couleurs vives, jaune et rouge, en faveur dans les années 50, rehaussent l'ensemble. Coll. Galerie Contrastes.

2. Avant de se spécialiser dans la céramique faux bois, au milieu des années 50, Grangean-Jourdan produisait de la céramique culinaire. D'abord mat, le faux bois se décline ensuite en version brillante, souvent agrémentée d'un motif silhouetté noir, en particulier le profil de Sylvette, jeune fille à la queue de cheval, modèle de Picasso. Coll. Galerie Kitsch.

3. Plus naturalistes que les artistes de l'école de Nancy, les Massier se sont également inspirés des fleurs de leur jardin. Traité en barbotine, avec un grand souci de réalisme, vase en forme d'iris de Delphin Massier. Vers 1900-1910. Coll. Alice Ceccaldi.

4. Un graphisme léger, incisif, calligraphié, caractérise l'uvre des années 50 de Gilbert Portanier. Natif de Cannes, Portanier s'installe à Vallauris en 1948, après un passage aux Beaux-Arts de Paris. Coll. Galerie Contrastes.

5. On a produit à Vallauris ces poteries usuelles traditionnelles jusque dans les années 40-50. De gauche à droite : cruche de Jean Michel, gargoulette de Foucard Jourdan, marmite à queue de l'atelier Saltalamacchia. Coll. Château-musé

6. Tourneur chez Madoura, Jules Agard a travaillé pour Picasso, dont il préparait les pièces. Sa production personnelle, séduisant bestiaire, en a été sans doute influencée. Coll. Galerie Alexander et Klein.

7. Typique des années 50, ce plat d'André Baud à la couverte gris anthracite est agrémenté d'un motif abstrait dans l'esprit de Miró. Coll. Galerie Louvre-Victoire. Retour

8. Dès le milieu des années 30, on a produit à Vallauris ces coupes en céramique tressée. Celles de Jérôme Massier sont généralement réalisées à partir de colombins lisses et aplatis. On trouve également des modèles torsadés, souvent plus tardifs. Coll. Alice Ceccaldi.

9. A l'opposé du "Vallauris de Picasso", les anciens ateliers ont proposé aux touristes des souvenirs au goût parfoisdouteux. Fabriqués manuellement (tous les poissons étaient collés un à un à l'intérieur) ces poissons-veilleuses restent une des images fortes du Vallauris des artisans traditionnels. Modèle de Ribéro. Coll. Galerie Kitsch.

10. Décorateur chez Madoura, Jean Derval a été en contact avec Picasso dont il a retenu l'ampleur des formes et la puissance du graphisme. Cette tête de femme découpée évoque le géométrisme figuratif en faveur dans les années 40-50. Coll. Galerie Contrastes.


Extraits de l'article de Pierre Faveton paru dans Art et Décoration n° 343 (Photos Christophe Raynaud de Lage)